Retour sur l’improbable aventure du chapiteau roman du Crouzet de Chadron.
Article de L’Eveil, publié le 14/09/2021.
Après maintes mais heureuses péripéties, le chapiteau roman du Crouzet de Chadron, nouveau pensionnaire du musée Crozatier a fait l’objet d’une présentation « privée », vendredi, une avant-première réservée aux 123 souscripteurs dont la générosité a permis son acquisition.
Deux associations se sont montrées solidaires et réactives dans cette aventure : les Amis du musée et la Société académique dont les présidents respectifs, Joëlle Garnier et Bernard Sanial étaient chaleureusement remerciés par Maud Leyoudec, conservatrice. Trônant majestueusement dans la salle des lapidaires, le chapiteau de pierre, « orné de mufles encadrés de figures animalières, voire monstrueuses, unique en Velay » a fait l’objet d’une précieuse analyse, confiée à Laurence Cabrero-Ravel (*), spécialiste du chapiteau roman. L’historienne de l’art, maître de conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour a partagé avec le public les principaux résultats de ses travaux.
Ne pas laisser ce chapiteau exceptionnel partir sous d’autres cieux…
Avant de lui confier la parole, Maud Leyoudec revenait sur l’épopée peu banale ayant conduit cette œuvre exceptionnelle depuis un mur d’enceinte du hameau du Crouzet jusqu’à l’écrin du musée… Tout a commencé par la publication d’une vente sur un site marchand Internet très prisé du public, celle d’un « chapiteau roman provenant d’un édifice détruit de Haute-Loire ». Immédiatement informés, convaincus au premier regard de l’intérêt de la sculpture, nous avons, avec Emmanuel Magne, contacté le ministère de la Culture, Le Louvre et le musée national du Moyen Âge. Leur réponse ne s’est pas fait attendre : « Il faut que cette œuvre entre au musée ! ». Une visite sur place dès le lendemain confirmait cette première appréciation, point de départ d’une nécessaire négociation : le vendeur, dont la mère avait assuré un temps le secrétariat de la Société académique, acceptait de réserver son bien dans l’attente d’expertises plus poussées. « Détenteurs du label Musée de France, nous avons pu bénéficier du conseil et de l’expertise des services de l’État : Pierre-Yves Paugam, conservateur sculptures au musée du Louvre ayant confirmé la rareté et la qualité de l’œuvre, nous avons également pu vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un bien spolié, avant de formuler une proposition de prix. »
12.000 euros, restauration comprise.
Bien que tenaillé par « l’envie féroce » d’acquérir le chapiteau, le musée, engagé dans d’autres acquisitions ne dispose, hélas, pas du budget nécessaire… 12.000 euros, restauration comprise, un prix « raisonnable et conforme au marché »… encore faut-il en disposer ! Mais, ainsi que le déclare Joëlle Garnier : « Quand il y a une volonté, il y a un chemin… et, avec nos amis de la Société académique, nous l’avons trouvé ! ». Une souscription, lancée avec panache par les deux associations a permis de réunir la somme nécessaire à l’achat dudit chapiteau, désormais pièce remarquable des collections lapidaires du musée.
Une œuvre entourée de mystères.
Quand son mari lui demande « qu’est-ce qui te ferait plaisir ? », Laurence Cabrero-Ravel répond invariablement « une visite au musée du Puy-en-Velay. » Consultée dès le début de l’aventure, la spécialiste des chapiteaux romans s’est lancée avec une passion fébrile dans l’étude de celui du Crouzet de Chadron, en explorant tour à tour les aspects pétrographiques – étude de la composition chimique et minéralogique des roches et des minéraux, et celle de leur formation- historique, esthétique et symbolique… Si ses travaux vont donner lieu à une publication détaillée au sein d’une prochaine édition du Bulletin de la Société académique, on en retiendra ici quelques captivants extraits… Le précieux concours de Jean-Noël Borget et son expertise permettent d’affirmer que « cette sculpture vellave du XIIe siècle de 150 kg a été réalisée dans un bloc d’arkose ponctué d’hydroxyde de fer, provenant probablement des carrières de Blavozy. » Quelques traces de polychromie -jaune, brun, rouge-, étonnamment préservées des intempéries subsistent encore, laissant à penser qu’à l’origine, les éléments de décor – mufles grimaçants, éléments végétaux…- ont été rehaussés de couleurs. Au fil du temps, le chapiteau a été réemployé comme base d’une croix gravée d’une date sujette à caution.
Déterminer la provenance…
Appartenance à un édifice religieux ? Élément isolé ou faisant partie d’un ensemble ? Fonction probable ? Autant de questions auxquelles l’universitaire, armée de précieux indices tente de répondre : les dimensions par exemple… 46 cm de hauteur, 64 de largeur et 43 pour le diamètre du lit de pose circulaire permettent de déduire que le chapiteau, de volume comparable à ceux de l’abbatiale Saint-Théofrède du Monastier surmontait probablement une colonne. Celle d’un édifice religieux proche de Chadron ? Si séduisante soit-elle, l’hypothèse émise quant à la provenance possible de l’église disparue de Goudet où un important prieuré est attesté avant la Révolution, n’est pas encore vérifiée à ce jour…
Caractéristiques de l’art roman du XIIe siècle.
Sculpté sur quatre faces -dont une est moins aboutie que les autres-, le bloc d’arkose s’anime d’un décor mêlant compositions végétales, figures animales et mufles de quadrupède régurgitant, dans un jeu de verticalité des « monstres » qui s’apparentent à des dragons. Un long travail de recherche de similitudes dans le vaste univers des chapiteaux romans permet de qualifier « d’habité » ce chapiteau corinthien, caractérisé par la présence des registres du végétal – feuilles d’acanthe – et du figuré. À la vue de tels décors, se pose inévitablement l’épineuse question de leur signification ? « Au XIIe siècle, St Bernard considérait ces créatures, « beautés d’une étonnante monstruosité, comme simple divertissement ». Une approche plus subjective en avancerait l’expression d’une nature sauvage dont le dérèglement contraste avec l’ordre du monde céleste… mais dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le conditionnel doit rester de rigueur, nous invitant à « aborder notre chapiteau avec prudence et précaution », concluait Laurence Cabrero-Ravel.
(*) Sa thèse, soutenue en 1996 était consacrée à Notre-Dame du Port et la sculpture ornementale des églises romanes d’Auvergne, les chapiteaux corinthiens et leurs dérivés (fin XIe- XIIe siècle).