Frida KAHLO (1907-1954)

Conférence de Michel Delon

Femme exceptionnelle, icône féministe et politique, figure de proue de la culture mexicaine, Frida Kahlo a créé une oeuvre reconnaissable entre toutes et singulière, faisant de son corps souffrant et de sa vie tumultueuse les sujets privilégiés de ses tableaux.

La famille Magdalena Frida Carmen naît dans la « Maison bleue » (la « Casa azul ») construite par ses parents en 1904, actuel musée Frida Kahlo, au milieu d’un quartier où habite la petite bourgeoise, à Coyoacan, au sud de Mexico. La mère de Frida Kahlo, Matilde Calderon y Gonzalez (1876-1932), est née à Mexico.

Elle est la troisième fille d’Isabel Gonzalez y Gonzalez, issue d’une famille de généraux d’origine espagnole, et du photographe Antonio Calderon, originaire de la ville de Morelia. Illettrée, dévote, peu argentée, elle sombre dans la dépression après avoir perdu son fils, un petit Wilhem, un an avent la naissance de Frida.

Son père, Guillermo Kahlo (18716 1941), né Carl Wilhem Kahlo à Pforzheim, dans le grand-duché de Bade, en Allemagne, n’était, comme le voudrait une légende répandue, juif d’origine germano-austro-hongroise, mais un Allemand de confession luthérienne, fils du bijoutier orfèvre Jakob Kahlo et de Henriette Kaufmann, issu de la bourgeoisie badoise.

C’est à son arrivée au Mexique en 1891, à l’âge de 19 ans, qu’il modifia son nom. Il est d’abord le photographe officiel au temps de Porfirio Diaz. Ruiné par la Révolution, il termine sa carrière comme simple photographe à Mexico.

Frida Kahlo peint en 1936 Mes grands-parents, mes parents et moi où elle raconte l’histoire de ses origines, tel un arbre généalogique. Elle a symbolisé ses grands-parents maternels mexicains par la terre, et ses grands-parents paternels allemands au moyen de l’océan. Elle est la petite- fille du jardin de la « Maison bleue » où elle est née et décédée. Au-dessus figurent ses parents dans la pose de leur photo de mariage, puis ses grands-parents paternels et maternels.



Elle peint un foetus (elle-même ?) rattaché à sa mère par un cordon ombilical et se relie de façon fière et émouvante par des rubans aux deux pendants de son arbre généalogique. C’est après ce tableau qu’elle renoua avec sa soeur Cristina qui avait eu une liaison avec son mari et lui donnera même un enfant qu’ elle n’aura jamais pu avoir.

A l’âge de six ans, Frida est victime d’une poliomyélite, l’obligeant à garder le lit pendant neuf mois. Sa jambe droite s’atrophie et son pied ne grandit plus. Elle n’atteindra jamais la taille qu’elle devrait avoir. C’est ce qui lui vaudra le surnom de « Frida la coja » (Frida la boiteuse) par ses camarades de classe. Il a été supposé qu’elle souffrît de spina bifida, une malformation congénitale de la colonne vertébrale, qui pourrait également avoir affecté le développement de la jambe. Les médecins font leur entrée dans sa vie. La claudication s’estompera progressivement, mais elle reste atrophiée, elle la masque avec des bottines et des chaussettes hautes.

En 1922, alors âgée de quinze ans, dotée d’une grande intelligence, elle quitte le cours supérieur du Colegio Aleman à Mexico et intègre la Escuela Nacional Preparatoria, considérée comme le meilleur établissement scolaire du Mexique. Frida Kahlo est l’une des trente -cinq premières filles admises sur un total de 2000 élèves. Elle s’intéresse beaucoup aux sciences naturelles et souhaite alors devenir médecin. Malgré l’intérêt qu’elle porte aux beaux-arts, qu’elle doit à son père, excellent photographe et accessoirement peintre d’aquarelles, elle n’envisage pas de se lancer dans une carrière artistique.

Le 17 septembre 1925, Frida prend le bus pour rentrer chez elle après ses cours. Soudain, l’autobus sort de la route et percute un tramway. Plusieurs personnes trouvent la mort lors de l’accident. Frida, elle, est grièvement blessée. Son abdomen et sa cavité pelvienne sont transpercés par une barre de métal : ce traumatisme est responsable d’un syndrome d’Asherman, et sera la cause des fausses couches de Frida Kahlo. Cl explique également le thème de nombre de ses oeuvres. Sa jambe droite subit un grand nombre de fractures, onze au total. Son pied droit est égaiement cassé. Le bassin, les côtes et la colonne vertébrale sont eux aussi brisés. L’épaule n’est que démise. Elle reste alitée pendant trois mois, dont un mois à l’hôpital. Mais environ un an après l’accident, elle doit retourner à l’hôpital, car on remarque qu’une de ses vertèbres lombaires est fracturées. Frida sera contrainte de porter durant neuf longs mois des corsets en plâtre.



C’est alors qu’elle commence à peindre. Elle déclare alors : « Je ne suis pas morte et j’ai une raison de vivre. Cette raison, c’est la peinture ». Pour l’aider, sa mère lui offre une boîte de couleurs, lui fait fabriquer un chevalet spécial et fait installer un baldaquin au-dessus de son lit avec un miroir pour ciel. Elle peut ainsi se servir de son reflet comme modèle, ce qui est probablement l’élément déclencheur de la longue série d’autoportraits qu’elle réalisera. En effet, sur 150 tableaux, 55 relèvent de ce genre. L’artiste doit subir de nombreuses interventions chirurgicales qui l’obligent à rester couchée sur un lit d’hôpital.

Vie et carrière artistique
En 1928, son amie la photographe Tina Modotti l’incite à s’inscrire au Parti communiste mexicain. Elle s’intéresse particulièrement à l’émancipation des femmes dans la société mexicaine, encore très patriarcale. Elle décide dès son jeune âge qu’elle ne veut pas suivre le même parcours que la plupart des femmes mexicaines. Elle a un désir de voyages, d’études. Elle veut la liberté et le plaisir.

Diego Rivera
Cette même année, Frida rencontre pour la première fois Diego Rivera (1886-1957) dans l’auditorium de son école, celui-ci faisait une peinture murale. Elle admire beaucoup ce peintre et lui demande son avis au sujet de ses propres tableaux, le fond de sa pensée. Le muraliste est impressionné par les réalisations de la jeune mexicaine. Frida Kahlo épouse Diego Rivera, de 21 ans son aîné, le 21 aout 1929. Ils s’installent à Mexico dans un atelier, mais Diego ne tarde pas à la tromper. Elle-même s’engage dans de nombreuses relations extraconjugales ; bisexuelle, elle séduit de nombreux hommes et femmes. Bien que compliquée, leur relation est véritablement passionnée.

Les autoportraits
L’autoportrait tinet une place très importante dans son OEuvre. Comme l’a dit un jour : « Je me suis peins moi-même parce que je suis seule, je suis le sujet que je connais le mieux ». On n’en compte pas moins de 55 sur les 150 tableaux qu’elle a peints. En se mettant elle-même en scène, elle exprime ses souffrances. Sa peinture devient porte-parole de sa douleur. Hors de question pour elle de masquer ses angoisses qui font partie intégrante de sa vie. D’autres artistes, à l’image de Van Gogh ou Rembrandt, se sont aussi représentés dans des conditions extrêmes, ne laissant aucun doute sur leur santé mentale fragile.

L’hôpital Henry-Ford ou le lit volant, 1932
Ce tableau bouleversant évoque le traumatisme que Frida a subi à l’hôpital Henry- Ford après l’interruption involontaire de sa grossesse. Diego Rivera, son mari disait de cette oeuvre : « Jamais auparavant une femme n’avait couvert d’une poésie aussi déchirante. 

La colonne brisée, 1944
Le contraste délibéré entre la beauté du corps de Frida et sa profanation monstrueuse à force de déchirures et de blessures rend cette composition tragique, si bouleversante. 

Le petit cerf, 1946
Autre représentation bouleversante du martyre qu’elle vivait : la tête du jeune animal a été remplacé par celle de Frida. Les flèches qui transpercent rappelle le supplice de St Sébastien, comme sur de nombreux tableaux de la Renaissance.


Sans espoir, 1945
Au dos de ce tableau dérangeant peint alors qu’elle subissait une nouvelle série d’opérations, Frida écrivit : « Il ne me reste pas une once d’espoir… Tout se déplace en mesure avec le contenu de mon ventre ».


Les deux Frida
C’est peu de temps après son divorce avec Diego Rivera que Frida Kahlo a accompli cet autoportrait représentant deux personnalités différentes. Le personnage de droite représente la personne qu’aimait Diego Rivera, une « Frida » dans un costume mexicain. Dans sa main elle tient un portrait de Diego RIVERA. La « Frida » de gauche est plutôt de type européen dans une robe blanche en dentelle et représente la Frida que Diego n’aimait plus. Les coeurs des deux femmes se retrouvent exposés, un procédé que Frida Kahlo a souvent employé pour exprimer sa douleur. Le coeur de la Frida « mal aimée » est brisé alors que l’autre est entier. A partir de l’amulette que tient la Frida de droite part une veine qui traverse les coeurs des deux femmes est finalement coupée par une paire de ciseaux que tient la Frida rejetée. En désespoir de cause, elle tente d’arrêter l’écoulement de sang de Diego qui continue pourtant à gouter. Le ciel orageux rempli de nuages peut refléter l’agitation intérieure de Frida Kahlo. Frida entre dans une dépression profonde quand elle apprend que son mari développe une relation charnelle avec sa jeune soeur qu’il utilise comme modèle. De cette union, naîtra un enfant. Frida vivra cette relation comme une véritable trahison. « Dans sa désespérance, Frida décide de couper sa longue chevelure noire qu’aimait son mari ; elle adopte aussi l’uniforme gris qui contraste avec ses grandes robes fleuries qu’elle abordait jusqu’alors. Elle envoie ses autoportraits à Diego pour lui signaler que désormais elle sera laide à ses yeux. A la même époque, elle peint les deux Frida dont l’une tient un médaillon avec le visage de Diego et l’autre des ciseaux en train de couper sa propre artère coronarienne. » Affaiblie par une grave pneumonie, Frida Kahlo meurt dans la nuit du 13 juillet 1954, sept jours après son quarantième anniversaire, officiellement d’une embolie pulmonaire. Cependant, selon Hayden Herrera, les derniers mots de son journal (« J’espère que la sortie sera joyeuse… J’espère bien ne jamais revenir — Frida) et son dernier dessin suggèrent qu’elle serait suicidée ; il affirme d’ailleurs que certains de ses amis ont cru que sa mort était due à une overdose de médicaments, qui n’était peut-être pas accidentelle. Toutefois, au coeur même de son dernier tableau, peint juste avant de mourir, elle a écrit : « Viva la Vida » (« Vive la vie »). Elle est incinérée le 14 juillet, comme elle le désirait : elle avait expliqué qu’elle ne souhaitait pas être enterrée couchée, ayant trop souffert dans cette position au cours de ses nombreux séjours à l’hôpital. Ses cendres reposent dans la Casa azul à Coyoacan, sur son lit, dans une urne qui a la forme de son visage.